Une vidéo granuleuse récemment partagée sur les réseaux sociaux congolais montre l’arrivée de combattants étrangers dans la région de Kisangani. Le clip, qui a suscité de nombreuses spéculations à travers l’Afrique centrale, serait celui de mercenaires colombiens engagés par Blackwater, la tristement célèbre société militaire privée autrefois dirigée par Erik D. Prince.
Les images ont émergé quelques jours seulement après la visite du président Félix Tshisekedi à Washington, où il aurait rencontré Prince en marge de l’Assemblée générale des Nations unies selon l’Afrique Intelligence. Pour de nombreux observateurs, cela représentait un signe que le dirigeant congolais se tournait une fois de plus vers une solution familière mais profondément défectueuse : engager des mercenaires pour mener des combats que son propre armée ne peut gagner.
La controverse s’est intensifiée lorsque le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur de la RDC, Shabani Lukoo, a publié une photo d’un lac assombri avec la légende : « BlackWater ». Ce message cryptique a été largement interprété comme un clin d’œil à l’arrivée des mercenaires.
Le ministre rwandais des Affaires Etrangères Olivier Nduhungirehe, n’a pas tardé à dénoncer cette initiative. « Seule la RDC permet à un vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur de se vanter subrepticement du déploiement de mercenaires dans son pays », a-t-il écrit, rappelant à Kinshasa que ce type de recrutement est interdit par la Convention de l’OUA/UA de 1977 et la Convention des Nations unies de 1989.
Pour les citoyens congolais, la nouvelle ressemble à un déjà-vu. Plus tôt cette année, en janvier 2025, le gouvernement avait fait appel à plus de 1 500 mercenaires roumains pour défendre Goma contre l’avancée des rebelles du M23.
« Ils sont arrivés avec de grandes promesses, de gros salaires et de grands airs », se souvient un habitant de Goma qui préfère garder l’anonymat. « On les traitait comme des rois dans les restaurants, ils distribuaient des pourboires en disant ‘gardez la monnaie’. Pendant ce temps, les Congolais ordinaires ne pouvaient même pas se faire servir avant eux. »
Selon plusieurs rapports, les Roumains gagnaient entre 5 000 et 8 000 dollars par mois des sommes astronomiques dans un pays où le revenu mensuel moyen est inférieur à 100 dollars.
Certains étaient des soldats en activité dans leur pays, en congé parental, tandis que d’autres savaient à peine manier une arme. Malgré tout le battage médiatique, ils ont été rapidement défaits. Des photos de leur retraite, escortés à travers le Rwanda pour retourner en Europe, sont devenues virales, laissant la stratégie de Tshisekedi en lambeaux.
Le recours aux combattants étrangers n’est pas nouveau. Depuis l’indépendance en 1960, les dirigeants congolais ont souvent fait appel à des mercenaires. En 1965, l’armée congolaise a recruté l’unité « 5 Commando » pour combattre une rébellion dans la province du Kwilu. En 1996–1997, Mobutu Sese Seko a engagé la Légion blanche, un groupe de mercenaires ex-yougoslaves, pour défendre Kisangani.
Ils ont fui au bout de quelques mois. En 1998, Laurent-Désiré Kabila a recruté des génocidaires rwandais vivant en exil. Ils ont échoué militairement et alimenté l’instabilité régionale. En 2025, les mercenaires roumains de Tshisekedi ont été humiliés à Goma.

« Les mercenaires sont les pires personnes sur lesquelles compter », a déclaré sans détour le président Paul Kagame du Rwanda. L’histoire de la RDC semble lui donner raison.
Au-delà des échecs sur le champ de bataille, les critiques affirment que le recours de Tshisekedi aux mercenaires compromet les cadres régionaux de paix tels que l’Accord de Washington et la Déclaration de Doha sur les principes, qui insistent tous deux sur la coopération et le dialogue.
« C’est une trahison de la lettre et de l’esprit de ces accords », explique un analyste régional basé à Nairobi. « Au lieu de renforcer l’armée congolaise, Kinshasa écrit des chèques à des aventuriers étrangers. Cela érode la souveraineté plutôt que de la protéger. »
Albert Einstein définissait autrefois la folie comme « faire la même chose encore et encore et s’attendre à des résultats différents ». À cette aune, le pari congolais sur les mercenaires est un exemple de folie.
Depuis plus de six décennies, des milliards de dollars ont été dépensés pour engager des étrangers, des sud-africains aux ex-soldats d’Europe de l’Est, en passant par des mercenaires colombiens. Aucun n’a apporté de victoires durables. Ils ont laissé derrière eux ressentiment, corruption et une armée nationale encore plus faible.
L’Union africaine a à plusieurs reprises condamné le mercenariat en Libye, en RCA et au Mali. Pourtant, le gouvernement congolais semble déterminé à ignorer le droit international et sa propre histoire.
Pour les Congolais ordinaires, l’issue est prévisible. « Ils viendront, ils boiront, ils danseront dans les boîtes de nuit de Goma, puis ils partiront quand les choses se compliqueront », dit le même habitant. « Et nous resterons avec la même guerre. »
Alors que Président Tshisekedi persiste dans ses contrats de mercenaires, une question se pose : combien de fois le Congo devra-t-il répéter la même expérience avant d’admettre ce que tout le monde sait déjà ; les mercenaires ne résoudront pas la crise congolaise.


